L’autre matin, tandis que je prenais Adélaïde, mon vélo, dans la cour de l’immeuble, la voisine du troisième est venue me voir en m’expliquant que je n’avais pas le droit de le laisser dans la cour. Je lui ai demandé pourquoi. Elle m’a répondu parce que c’est une partie commune.
Une partie commune qui sert à quoi ? A rien, à part mettre les poubelles et les vélos, ai-je rétorqué. Et si tout le monde faisait comme vous ? m’a-t-elle lancé. Si tout le monde faisait comme moi, chère madame, il n’y aurait plus de voitures dans les rues, plus de bruit, plus de pollution et je pense qu’on n’aurait plus trop de problème pour garer son vélo.
Après ça, content de moi, je lui ai fait le sourire le plus immense dont je suis capable le matin. Elle a ajouté oui et ben vous n’avez pas le droit c'est tout et je lui ai annoncé que j’allais le prendre quand même.
Je suis parti dans l’allée en sifflotant mais la vieille bique avait quand même réussi à m’énerver. Il y a des gens qui n’ont vraiment que ça à foutre, ai-je pensé, et j’ai murmuré en le pensant très fort : mort au cons !
J'ai ouvert la porte de l'allée et suis sorti dans la rue.
Et là, patatras !
Tout le monde était mort.
Il n’y avait plus aucun bruit dehors, à part un klaxon bloqué, au loin. Les gens gisaient, au sol, comme endormis. Autant vous le dire, j’ai immédiatement regretté mes paroles. Mince ! me suis-je dit, je viens de buter l’humanité toute entière !
Je me suis immédiatement demandé pourquoi je n’étais pas mort moi-même, malgré une tendance à la connerie plutôt… heu… prégnante. J’en ai déduit que celui qui lançait la malédiction « mort aux cons ! » était automatiquement immunisé.
J’étais donc seul. Seul au monde. J’ai décidé d’en avoir le cœur net. Se pouvait-il que quelqu’un d’autre ait survécu ? Quelqu’un qui n’ait jamais été con de toute sa vie ?
J’ai enfourché Adélaïde et j’ai décidé de parcourir Paris à la recherche de survivants. Ça m’a pris des heures. Rien. Tout le monde était mort. Je commençais à ressentir une légère culpabilité. Bon, au moins, il ne reste plus personne pour m’engueuler, c’est toujours ça, me rassurai-je.
Le soir tombait presque lorsque, dans un quartier huppé de la capitale, je finis par voir quelque chose bouger, au loin. Je pédalai à toute vitesse vers la forme mouvante, en me disant : si c’est une femme, elle a intérêt à être bien parce que je risque de devoir rebâtir l’humanité avec elle. J’étais inquiet et exalté à la fois mais jamais je n'aurais cru voir un truc pareil :
C’était Bernard Henri Lévy.
Qu’est-ce que vous faites là ? Lui demandai-je plutôt abruptement. Il m’a dit : vous êtes vivant, mon Dieu, mais que s’est-il passé, qui a fait ça ? J’ai fait genre : je sais pas trop mais bon on finira bien par le trouver ce salaud, hein… et je me suis soudain demandé : comment a-t-il fait, lui, pour survivre ?
Il existe donc vraiment des gens sur cette planète qui ne sont pas des « cons » ? Et BHL en ferait partie ? Et là, deuxième miracle, son téléphone a sonné : il m’a dit : c’est Alain, Alain Minc ! Non, cette fois, le doute n’était plus possible : mon sort n'avait pas marché.
D’ailleurs, en cherchant un peu, on a fini par trouver d’autres survivants : Finkielkraut, Glucksmann et d’autres médiatisés intellectuels étaient de ceux-là. Et seulement eux. Mais qu'avait-il bien pu se passer ?
Pourquoi avaient-ils survécu ?
Et soudain, j'ai compris : à force de faire n'importe quoi dans les médias depuis 30 ans, ils s'étaient immunisés contre les conséquences de la connerie.
La reconstruction du monde commençait mal